Vision scientifique sur les thèmes du défi
Le patrimoine culturel, au vu du caractère particulièrement complexe des objets à documenter, est un de ces domaines où les approches interdisciplinaires sont essentielles. Outre les aspects relevant de la naissance et l’évolution d’une œuvre au sein d’un contexte socio-culturel, l’étude de sa dimension matérielle, de son interaction avec le temps et l’environnement, nécessite des moyens d’observation variés et très sophistiqués. Par ailleurs, le domaine patrimonial impose comme contrainte de limiter au maximum l’échantillonnage du fait du caractère précieux et unique des œuvres. L’analyse, sans contact afin préserver les surfaces fragiles des biens culturels et non destructive, est privilégiée et fortement recommandée. De plus, beaucoup d’œuvres ne peuvent être déplacées et nécessitent des analyses sur sites par des appareillages adaptés. Enfin, leur complexité, en particulier dans le cas des œuvres peintes qui sont constituées de plusieurs couches associant différents matériaux (peintures, liens, charges, etc.) et leur évolution au cours du temps, qui a pu conduire dans le passé à des restaurations à l’aide de matériaux différents, rend l’appréhension de ces œuvres très difficile d’un point de vue de la conservation.
A l’image de la complexité de ces œuvres et de leur interaction avec le temps et l’environnement, des approches d’intégration de moyens d’observation et d’analyses non destructives sont alors à privilégier et peuvent avoir un impact très important au sein de la communauté internationale travaillant sur la conservation des biens culturels, sur le plan technologique et méthodologique.
Si les avancées dans les domaines de l’imagerie scientifique ont pu produire dans les dernières années des solutions pointues dans différents secteurs, il est évident que seulement un regard croisant une dimension technique avec une réflexion sur le plan méthodologique pourra faire face aux spécificités et à la complexité des objets patrimoniaux.
Dans le cas spécifique des peintures :
– l’imagerie 3D (photogrammétrie, lasergrammétrie, lumière structurée) permet d’acquérir des informations essentielles sur la forme générale des supports et d’analyser les déformations ainsi que les différentes formes d’altération physique ;
– l’imagerie hyperspectrale, combinée à l’imagerie scientifique, au LIBS et à la micro diffraction des rayons X portable peut renseigner sur la nature exacte des phases inorganiques ou organiques, cristallisées ou amorphes se trouvant à la surface d’un support sans réaliser de prélèvements et d’étudier d’éventuelles superpositions de couches ; ces phases peuvent être originales, être la conséquence d’une restauration, ou être liées à une dégradation ;
– l’étude locale, dans le but d’une mesure dimensionnelle fine, de microdéformations de surface et des couches superposées, qui peuvent être relativement transparentes, de défauts sous-jacents, par une combinaison de techniques telles que citées précédemment avec la photogrammétrie, l’imagerie hyperspectrale et la thermographie infrarouge, peut renseigner sur des causes d’altération et leur conséquences en matière de conservation.
L’imagerie 3D appliquée à la documentation du patrimoine culturel a dernièrement fait des grands progrès en matière de reconstruction géométrique de surface avec des degrés de précision de plus en plus importants. En particulier et grâce aux progrès de la photogrammétrie et de la vision par ordinateur, les nouveaux moyens d’acquisition et de traitement d’images photographiques donnent aux experts de la conservation des solutions flexibles, rapides et très économiques pour l’analyse des formes et de l’état de conservation des surfaces (basées sur l’usage de simples appareils photo et une chaine de traitement base sur le cloud computing). Néanmoins, au-delà de la forme et de l’apparence visuelle, l’étude et le suivi de l’état de conservation de surfaces complexes, comme par exemple celui des surfaces peintes (constituées d’un grand nombre de couches sur des supports de natures variées), nécessite une observation plus approfondie capable de lier la reconstruction de la géométrie (à plusieurs échelles) des surfaces avec d’autres informations pouvant apporter des éléments essentiels à la connaissance de la nature des matériaux. En effet, si les moyens de l’état de l’art actuel en matière de reconstruction géométrique à partir d’images photographique permettent d’analyser métriquement la complexité morphologique des objets du patrimoine, d’autres moyens d’acquisition et de traitement d’images peuvent fournir des informations essentielles sur la microstructure des surfaces ainsi que sur la composition stratigraphique des couches de peinture (réflectance, imagerie en bandes spectrales, multi- et hyper-spectrale, thermographie infrarouge). Ces derniers types d’acquisition et d’analyses sont dès à présent utilisés par les spécialistes de la conservation des peintures ainsi que par les archéomètres. Néanmoins l’interprétation des résultats issus de ces acquisitions est le plus souvent qualitative. De plus, elle ne permet pas toujours de déterminer la nature des matériaux présents, ni de déduire d’une manière métrique leur localisation spatiale (par rapport à un référentiel géométrique global et/ou par rapport aux épaisseurs des différentes couches constitutives des surfaces observées). Il est alors essentiel d’explorer les modalités permettant de fusionner ces quatre grandes catégories d’acquisitions (photogrammétrie 3D, réflectance, imagerie multi- et hyper- spectrale, thermographie infrarouge), afin de réunir au sein d’une représentation géométrique multi-dimensionnelle et intégrée (à référence métrique et orientation connue), toutes les informations susceptibles de renseigner l’objet patrimonial (sa surface, sa microstructure et sa composition) et d’en suivre son évolution. Cet objectif est d’autant plus pertinent que d’autres travaux montrent le potentiel d’une mise en relation de ces représentations 3D avec des jeux d’informations hétérogènes (documentation, analyse des matériaux, sources iconographiques, etc..), par le biais de méthodes d’annotation et structuration sémantique . Ces expériences permettent de préfigurer l’émergence d’une nouvelle génération de systèmes d’informations spatialisés multi-échelles pour l’étude historique et pour l’observation, l’analyse et la compréhension des phénomènes complexes de dégradation.
Cet objectif ne peut être atteint que par l’articulation de nombreuses compétences (analyse et traitement d’images, analyse physique des rayonnements, analyse physico-chimique des matériaux, robotisation des systèmes d’acquisition, annotation sémantique et segmentation supervisée) à l’intérieur d’un cadre d’échange continu avec les experts de la conservation et de la restauration du patrimoine.
Partenaires du projet
FIAT LUX a une dimension interdisciplinaire car il touche aussi bien les domaines de l’imagerie 3D et multi-, hyper-spectrale que la conservation et l’archéométrie, la physico-chimie des matériaux et s’inscrit dans la problématique plus globale de la documentation numérique du patrimoine culturel.
Le consortium de ce projet, coordonné par Livio De Luca et Jean-Marc Vallet, intègre :
Le MAP (Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine) de Marseille, UMR 3495 CNRS/MCC, sur les aspects de protocoles d’acquisitions multi-capteurs, mise en cohérence géométrique et structuration d’informations hétérogènes.
L’ENSG (Ecole Nationale des Sciences Géographiques) de Paris, pour les aspects de calibration et orientation des capteurs, d’analyse et traitement d’images et plus spécifiquement celles liées à la reconstruction géométrique 3D à partir d’images (photogrammétrie multi-vues) ainsi que pour la mise en correspondance géométrique d’états temporels.
Le LE2I (Laboratoire Électronique, Informatique et Image) de Dijon, UMR 6306 CNRS/UB/Arts et Métiers/AgroSup, pour les aspects de mesure de la réflectance dans sa composante angulaire ainsi que pour la reconstruction géométrique des microstructures et la caractérisation de la micro-géométrie des surfaces.
Le CICRP (Centre Interdisciplinaire de Conservation et Restauration du Patrimoine) de Marseille, conventionné avec l’UMR 3495 MAP par la mise en place du LABCOM MAP/CICRP, pour les aspects de conservation et de restauration des peintures, leur analyse et leur documentation scientifique (imagerie scientifique et thermographie infrarouge), la réalisation des éprouvettes et l’interprétation des données issues de la fusion.
Le LAMS (Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale) de Paris, UMR 8220 CNRS-UPMC, pour les aspects mesures et analyses hyperspectrales, micro diffraction des rayons X portables.
Le LRMH (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques), USR 3224 CNRS/MCC/MNHN, de Champs-sur-Marne, pour la mesure et analyse LIBS, les aspects de conservation et de restauration des peintures murales.
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UMR CNRS/MCC 3495 MAP Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine Coordinateur |
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LE2I Laboratoire Électronique, Informatique et Image |
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LAMS Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale |
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ENSG École Nationale des Sciences Géographiques |
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CICRP Centre Interdisciplinaire de Restauration du Patrimoine |
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LRMH Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques |